Le pays où les néonazis font la norme

Publié le par Le Blog du MRAP Fédération de Moselle

Un article d'Antoine Jacob, correspondant du quotidien Le Monde en Allemagne. Paru le 28/09/06
   
    Le long des routes droites qui traversent des groupements de fermes proprettes en briques rouges, les affiches de l'extrême droite allemande, une semaine après les élections régionales du 17 septembre, donnent encore le ton : "Défendez-vous !", "Courage pour le changement", "Ça suffit !"
Près de la frontière polonaise, dans l'est du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, certains villages ont voté jusqu'à plus de 30 % pour les néonazis du Parti national démocrate (NPD). Un score qui vient jeter une ombre sur cette région peuplée de champs, de forêts et de lacs, prisée des vacanciers berlinois et, au nord, ses plages de sable blanc baignées par la mer Baltique.

Bourgade de 12 000 habitants, Pasewalk passerait presque pour modérée : "seulement" 9,7 % de l'électorat ont opté pour le NPD. Le clocher en ardoise de l'église se voit de loin dans cette plaine qui fut l'un des greniers de l'ex-République démocratique d'Allemagne (RDA). Sur la place du marché, surdimensionnée au regard de la faible activité qui y règne, trois jeunes assis sur un banc s'ennuient ferme. "Il n'y a rien à faire ici", bougonne Andreas, un blond filiforme de 23 ans au crâne presque rasé. Pour passer le temps, lui et ses amis se racontent les cancans du coin et commentent le feuilleton vu à la télé la veille au soir.

Les élections du 17 septembre ? "Non, on n'en parle pas entre nous. De toute façon, elles ne changeront rien", lâche Andreas. Au fil de la discussion, le jeune homme, qui refuse de donner son nom de famille, admet toutefois qu'il a donné sa voix au NPD. Approuvé par ses copains, Andreas "espère que ce parti fera quelque chose" pour lui trouver un travail. Depuis qu'il a quitté le lycée, il a décroché quelques stages chez des artisans, mais rien de durable. Il attend, comme tant d'autres. Le chômage frappe près de 30 % de la population active de Pasewalk.

Le canton d'Uecker Randow est l'un des plus pauvres du pays. Le tourisme vert n'a pas suffi à remplacer les emplois garantis par les abattoirs et les entreprises agricoles d'Etat, du temps de la RDA. Depuis la réunification du pays, il y a seize ans, plus de 200 000 des 2 millions d'habitants de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale - le "Meck-Pom" dans le jargon local - l'ont quitté pour trouver du travail dans l'ouest de l'Allemagne, voire à l'étranger. Andreas y pense parfois, mais il ne se sent pas armé pour. "Ce sont surtout les filles qui s'en vont, elles sont plus débrouillardes que les garçons", note Jutta Hartlich. Psychothérapeute, elle tient permanence en haut de la place du marché de Pasewalk, pour conseiller les alcooliques et les drogués du canton. "Beaucoup d'hommes du coin ont perdu tout espoir d'amélioration." Les plus fragiles sont "dans un état dépressif proche de la léthargie". Hélas, souffle-t-elle, bon nombre de communes n'ont plus les moyens ou l'idée de proposer à la jeunesse des activités pour briser le désoeuvrement.

Le NPD et ses sympathisants se sont engouffrés dans cette brèche. Depuis quelques années, ils ont multiplié les initiatives au niveau local. Pas seulement en organisant, ici et là, des concerts de rock nationaliste ou de musique dite "white power", vantant la suprématie de la race blanche. Ils ont voulu ratisser plus large en s'adressant, de manière anodine, aux adolescents et aux jeunes parents.

A Ueckermünde, l'extrême droite a organisé un tournoi de football. A Hammer, c'est une kermesse folklorique, avec danses en costumes traditionnels, qui a permis de célébrer les racines germaniques. Ailleurs, d'autres fêtes ont eu lieu en l'honneur des moissons ou des nouveau-nés du village, dont les parents ont été réinvités plus tard autour d'une bière gratuite.

"Là où il sent qu'il y a du répondant, le NPD multiplie ses efforts pour enfoncer le clou", constate Markus Birzer, qui dirige une organisation régionale de prévention contre l'extrême droite, l'Académie pour la politique, l'économie et la culture. Elle est installée à Schwerin, la capitale du "Meck-Pom," où siègent désormais six élus du parti néonazi. Selon lui, la stratégie du NPD se révèle payante. Peu à peu, les idées qu'il véhicule, grâce aux revues et aux CD de musique distribués gratuitement devant les lycées, deviennent la norme chez les adolescents des campagnes de l'ex-RDA.

Ici, désormais, mieux vaut arborer une coupe de cheveux ultra-courte pour éviter les ennuis. Ceux qui refusent ou se rangent dans le camp des "antifascistes" font attention de ne pas sortir seuls dans la rue. Le fils de l'oculiste d'Ueckermünde s'est fait tabasser pour l'avoir oublié. Dans ces zones rurales, Markus Birzer constate "un début d'hégémonie culturelle" de l'extrême droite. Un exemple : lorsqu'on a demandé au public comment baptiser des louveteaux qui venaient de naître au zoo d'Ueckermünde, ce sont les noms de Thor et Wotan qui sont arrivés en tête. Deux divinités issues de la mythologie, reprises à son compte par le régime d'Adolf Hitler et très en vogue dans les milieux d'extrême droite actuels.

Dans la circonscription la plus défavorisée d'Ueckermünde, bourgade de 10 000 âmes, le NPD a recueilli plus de 30 % des voix. Le parti n'y a toutefois pas pignon sur rue, non plus que dans la plupart des communes de la région. Tout juste existe-t-il une boîte postale et, sur le site Internet du parti, un numéro de téléphone portable - qui sonnait dans le vide lors de nos nombreux appels. Tino Müller, le candidat NPD dans la circonscription, n'est pas dans l'annuaire. Son visage souriant de jeune homme propre sur lui, tempes dégagées et chemise à carreaux, trône pourtant sur de nombreuses affichettes accrochées aux lampadaires et aux poteaux du moindre hameau du coin.

Ancien des Jeunesses vikings, cet ancien maçon de 28 ans dirige une des "camaraderies libres", groupuscules locaux de néonazis, sur lesquelles le parti s'est appuyé en vue des régionales. Il s'est distingué en prenant la tête d'une "initiative de citoyens" contre le transfert d'un camp de demandeurs d'asile à Ueckermünde - où seulement 1 % de la population est d'origine étrangère, comme dans le reste du "Meck-Pom". En dépit de ce maigre pedigree, Tino Müller a été élu le 17 septembre au Parlement régional. Tout comme le chef de file régional du NPD, Stefan Köster, condamné pour avoir frappé une femme à terre lors d'une manifestation antiraciste. Ou encore Udo Pastörs, tête de liste, qui a publiquement regretté qu'"un Hitler ne naisse que tous les mille ans".

Le chômage et le désoeuvrement des jeunes ne suffisent pas à expliquer la percée du NPD. Il y a aussi l'insécurité psychologique provoquée par l'adhésion à l'Union européenne de la Pologne voisine, en mai 2004. "L'extrême droite a exploité la peur du Polonais qui vient prendre le travail ou les allocations des Allemands, en oubliant de dire que nos voisins créent des emplois chez nous", souligne Lothar Meistring, le maire de Löcknitz, la dernière bourgade avant la frontière.

Seize ans après la réunification, ajoute cet ancien cadre de l'ex-Parti communiste est-allemand, les gens qui sont dans le pétrin se sont tournés vers le NPD parce que "c'est le seul parti qui, depuis, n'a pas encore participé au gouvernement régional". Dans sa commune (2 900 habitants), ce vote protestataire a valu au NPD 19 % des voix, alors qu'un de ses deux sympathisants déclarés a été condamné pour avoir dégradé le monument à la mémoire des juifs persécutés ici, lors de la Nuit de cristal, en 1938.

Pour Jutta Hartlich, il y a aussi un problème d'éducation. Le fait que, du temps de la RDA, le nazisme était assimilé, dans le discours public, à l'Allemagne de l'Ouest a laissé des traces dans l'esprit des gens. "A l'école, on apprenait que nous, à l'Est, nous n'avions rien à nous reprocher", se souvient la quinquagénaire. Aujourd'hui encore, dit-elle, "ce n'est pas perçu comme un problème nous concernant directement".

Enfin, le NPD a mené une campagne électorale nettement plus active que ses adversaires. Sur les affiches, ses slogans se font souvent ciblés, en phase avec les préoccupations des gens : "Gardez les écoles !", "L'avenir plutôt que l'ANPE". En face, le Parti social-démocrate (SPD), qui dirige la coalition sortante au pouvoir depuis huit ans, proclamait : "Le succès continue"... Il a perdu dix points par rapport au précédent scrutin, à 30 %.

Pour sa campagne dans le "Meck-Pom", estimée à plus de 400 000 euros par les autorités, le NPD a pu compter sur l'argent et le coup de main de militants venus de Saxe, le seul autre Land du pays où il siégeait déjà dans un Parlement régional, grâce à un score de 9,2 % en 2004. Deux ans après, le bilan de son action à Dresde donne de l'espoir à certains opposants. Le parti est en perte de vitesse dans les sondages.

Ses provocations incessantes commencent à lasser ses électeurs d'un jour. Le NPD, simple feu de paille ? A Pasewalk, Detlef Nase, responsable de la Croix-Rouge locale, n'y croit guère : "Hélas, ce parti est là pour durer, déplore-t-il. Ses cadres vont gagner en expérience et les jeunes d'aujourd'hui continueront à voter pour lui."

> Voir le site du quotidien Le Monde

28/09/2006


Publié dans Revue de Presse

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