Hôpital : laïcité et intégrisme s'affrontent
Un article d’ Annick Cojean dans le Monde 28.01.2007
L'invention a fait la "une" des médias de Grande-Bretagne le soir même de sa révélation. Une burqa chirurgicale pour patientes pratiquantes. Bleu vif. Pleine de plis et replis. Et couvrant intégralement le corps, de la tête aux pieds, avec une simple petite fente au niveau des yeux. Un vrai rêve de taliban. La blouse, bizarrement appelée "interconfessionnelle", a immédiatement soulevé maints débats outre-Manche. Certains, dont le journal Islamic Times, ont réagi avec enthousiasme : "Ingénieux ! Le plus sûr moyen de ramener à l'hôpital des femmes musulmanes effarouchées par les usages et la nudité imposés dans les établissement de santé occidentaux." D'autres, députés, médecins et éditorialistes, ont dénoncé avec affliction "la compromission occidentale" et ce nouveau gage au "politiquement correct".
A Rotterdam, c'est le projet de création d'un hôpital islamique - le premier en Europe - qui suscite la polémique. Nourriture halal, tours de garde d'imams, départements séparés pour hommes et femmes avec personnel médical du même sexe : toutes les recommandations de l'islam seraient strictement respectées, et l'homme d'affaires néerlandais qui a lancé le projet estime que la niche commerciale est considérable dans un pays comportant 1,7 million d'immigrés non occidentaux et 450 mosquées. Un signe d'ouverture très fort envers la communauté musulmane, se réjouissent certains. "Le choix de l'apartheid", commentent les autres.
Et c'est, semble-t-il, ainsi que réagissent beaucoup de médecins français à l'évocation d'un tel projet. "Une absurdité !, s'offusque le professeur Israël Nisand, chef du service de gynécologie-obstétrique du CHU de Strasbourg. Cela revient à ghettoïser une communauté pour mieux l'abandonner ! Je trouve cela incompatible avec l'idéal républicain. Même s'il arrive à certains collègues médecins de rêver d'être un jour débarrassés des problèmes posés par les patients musulmans."
Des problèmes en nombre croissant. Religieux. Culturels. Ethiques. Et souvent traumatisants parce que devant être résolus dans l'urgence. Le serment d'Hippocrate en bandoulière. Mais avec un devoir de respect et une obligation de diplomatie devant ce que le patient présente comme "la loi de Dieu". Le malaise est patent dans de nombreux établissements hospitaliers français. Doublé d'un sentiment d'insatisfaction morale et intellectuelle dans le corps médical.
Il y a d'abord cette violence observée dans certains services de gynécologie obstétrique en région parisienne et dans plusieurs grandes villes. Des maris fondamentalistes refusent que leurs femmes soient examinées, soignées, accouchées par un homme. Ils l'exigent avec vigueur, quitte à mettre en danger leurs épouses et à s'en prendre physiquement au praticien en fonction.
Un incident violent s'est produit en septembre à la maternité de l'hôpital Robert-Debré, à Paris, où le professeur Jean-François Oury, appelé en urgence auprès d'une femme maghrébine sortant d'un accouchement difficile, s'est vu giflé par le mari au motif que l'islam interdisait à un autre homme de toucher sa femme. Condamné à six mois de prison ferme le 24 janvier au tribunal correctionnel de Paris, l'intéressé, un jeune père de 23 ans nommé Fouad Ben Moussa, expliqua qu'il était "stressé" et qu'il s'agissait plus, à ses yeux, "d'une question de pudeur que de religion". L'avocat du gynécologue frappé, Me Georges Holleaux, abonda dans ce sens : "La religion n'est qu'un mauvais prétexte à un comportement violent", expliqua-t-il, ajoutant que, à ses yeux, "tout amalgame serait extrêmement dangereux".
Il reste que le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), qui regroupe la majorité des gynécologues français, a noté, depuis trois ou quatre ans, une multiplication d'incidents de nature à perturber l'organisation des maternités. A Lyon, un chef de clinique du service du professeur Raudrant a été un jour menacé par un homme d'origine africaine armé d'un couteau, furieux qu'il ait examiné son épouse.
Près de Grenoble, un mari présent en salle de travail s'est opposé au docteur André Benbassa, directeur médical de la maternité Belledonne, venu aider à l'accouchement de sa femme, qui nécessitait des forceps. A Roubaix, un mari a refusé que sa femme, dont le frottis révélait une anomalie, subisse une colposcopie (examen du col utérin), parce que le seul spécialiste, le docteur Yves Verhaegue, était un homme. D'autres problèmes ont été signalés à Tours, Nice, Montreuil, Créteil, Bondy, Mulhouse, Versailles.
A Strasbourg, le professeur Israël Nisand se dit inquiet de l'augmentation de la "violence verbale" et des cas "d'incivilité, voire de délinquance prenant le prétexte de la religion". L'agression dont a été victime une assistante sociale de son service a ébranlé le personnel (Le Monde du 28 février 2006) et incité la direction de l'hôpital à installer des caméras. Deux Maghrébins avaient surgi dans le bureau de l'employée, la giflant, lui tapant la tête contre une table en criant : "Ça vous apprendra à vous occuper de nos femmes !", et la laissant dans le coma, après lui avoir arraché son tee-shirt et écrit "Mohamed" sur son ventre.
Un mari turc à qui la secrétaire du professeur expliquait qu'on ne pouvait garantir que sa femme serait examinée par un médecin femme l'a menacée : "On vous aura !" Un autre, dont la femme avait un oeil au beurre noir et des traces de brûlures de cigarette sur les bras, s'est emporté contre le praticien : "Je préfère que ma femme meure plutôt qu'un homme la voie !"
Récemment, raconte encore le professeur Nisand, "j'ai été appelé d'urgence pour délivrer un certificat de virginité à une gamine de 11 ans ! Je me suis récrié ! Mais que de menaces et de coups de pied dans les portes !" L'accumulation de ces incidents a incité le CNGOF, en octobre 2006, à publier un communiqué alarmiste et à proclamer son souci de "défendre les femmes contre l'intégrisme musulman".
"Les gynécologues-obstétriciens hommes devront-ils désormais être protégés par la police pour exercer leur métier ? (...) C'est inadmissible dans un pays laïque comme le nôtre, où l'hôpital, s'il permet la liberté de culte, n'a pas à plier son organisation aux pratiques religieuses quelles qu'elles soient. (...) Nous le disons fermement, nous continuerons à avoir des services où les médecins hommes ou femmes apporteront les soins aux patients quel que soit leur sexe. Nous défendrons la liberté des femmes à se déterminer sur la contraception, l'avortement, la stérilisation, sans l'avis de leur mari. (...) Il y a trente ans, les femmes musulmanes venaient dans nos hôpitaux sans l'appréhension d'être prises en charge par des médecins généralement hommes, et il n'y avait pas ces violences. Pourquoi cette régression ?"
A Rotterdam, c'est le projet de création d'un hôpital islamique - le premier en Europe - qui suscite la polémique. Nourriture halal, tours de garde d'imams, départements séparés pour hommes et femmes avec personnel médical du même sexe : toutes les recommandations de l'islam seraient strictement respectées, et l'homme d'affaires néerlandais qui a lancé le projet estime que la niche commerciale est considérable dans un pays comportant 1,7 million d'immigrés non occidentaux et 450 mosquées. Un signe d'ouverture très fort envers la communauté musulmane, se réjouissent certains. "Le choix de l'apartheid", commentent les autres.

Des problèmes en nombre croissant. Religieux. Culturels. Ethiques. Et souvent traumatisants parce que devant être résolus dans l'urgence. Le serment d'Hippocrate en bandoulière. Mais avec un devoir de respect et une obligation de diplomatie devant ce que le patient présente comme "la loi de Dieu". Le malaise est patent dans de nombreux établissements hospitaliers français. Doublé d'un sentiment d'insatisfaction morale et intellectuelle dans le corps médical.
Il y a d'abord cette violence observée dans certains services de gynécologie obstétrique en région parisienne et dans plusieurs grandes villes. Des maris fondamentalistes refusent que leurs femmes soient examinées, soignées, accouchées par un homme. Ils l'exigent avec vigueur, quitte à mettre en danger leurs épouses et à s'en prendre physiquement au praticien en fonction.
Un incident violent s'est produit en septembre à la maternité de l'hôpital Robert-Debré, à Paris, où le professeur Jean-François Oury, appelé en urgence auprès d'une femme maghrébine sortant d'un accouchement difficile, s'est vu giflé par le mari au motif que l'islam interdisait à un autre homme de toucher sa femme. Condamné à six mois de prison ferme le 24 janvier au tribunal correctionnel de Paris, l'intéressé, un jeune père de 23 ans nommé Fouad Ben Moussa, expliqua qu'il était "stressé" et qu'il s'agissait plus, à ses yeux, "d'une question de pudeur que de religion". L'avocat du gynécologue frappé, Me Georges Holleaux, abonda dans ce sens : "La religion n'est qu'un mauvais prétexte à un comportement violent", expliqua-t-il, ajoutant que, à ses yeux, "tout amalgame serait extrêmement dangereux".
Il reste que le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), qui regroupe la majorité des gynécologues français, a noté, depuis trois ou quatre ans, une multiplication d'incidents de nature à perturber l'organisation des maternités. A Lyon, un chef de clinique du service du professeur Raudrant a été un jour menacé par un homme d'origine africaine armé d'un couteau, furieux qu'il ait examiné son épouse.
Près de Grenoble, un mari présent en salle de travail s'est opposé au docteur André Benbassa, directeur médical de la maternité Belledonne, venu aider à l'accouchement de sa femme, qui nécessitait des forceps. A Roubaix, un mari a refusé que sa femme, dont le frottis révélait une anomalie, subisse une colposcopie (examen du col utérin), parce que le seul spécialiste, le docteur Yves Verhaegue, était un homme. D'autres problèmes ont été signalés à Tours, Nice, Montreuil, Créteil, Bondy, Mulhouse, Versailles.
A Strasbourg, le professeur Israël Nisand se dit inquiet de l'augmentation de la "violence verbale" et des cas "d'incivilité, voire de délinquance prenant le prétexte de la religion". L'agression dont a été victime une assistante sociale de son service a ébranlé le personnel (Le Monde du 28 février 2006) et incité la direction de l'hôpital à installer des caméras. Deux Maghrébins avaient surgi dans le bureau de l'employée, la giflant, lui tapant la tête contre une table en criant : "Ça vous apprendra à vous occuper de nos femmes !", et la laissant dans le coma, après lui avoir arraché son tee-shirt et écrit "Mohamed" sur son ventre.
Un mari turc à qui la secrétaire du professeur expliquait qu'on ne pouvait garantir que sa femme serait examinée par un médecin femme l'a menacée : "On vous aura !" Un autre, dont la femme avait un oeil au beurre noir et des traces de brûlures de cigarette sur les bras, s'est emporté contre le praticien : "Je préfère que ma femme meure plutôt qu'un homme la voie !"
Récemment, raconte encore le professeur Nisand, "j'ai été appelé d'urgence pour délivrer un certificat de virginité à une gamine de 11 ans ! Je me suis récrié ! Mais que de menaces et de coups de pied dans les portes !" L'accumulation de ces incidents a incité le CNGOF, en octobre 2006, à publier un communiqué alarmiste et à proclamer son souci de "défendre les femmes contre l'intégrisme musulman".
"Les gynécologues-obstétriciens hommes devront-ils désormais être protégés par la police pour exercer leur métier ? (...) C'est inadmissible dans un pays laïque comme le nôtre, où l'hôpital, s'il permet la liberté de culte, n'a pas à plier son organisation aux pratiques religieuses quelles qu'elles soient. (...) Nous le disons fermement, nous continuerons à avoir des services où les médecins hommes ou femmes apporteront les soins aux patients quel que soit leur sexe. Nous défendrons la liberté des femmes à se déterminer sur la contraception, l'avortement, la stérilisation, sans l'avis de leur mari. (...) Il y a trente ans, les femmes musulmanes venaient dans nos hôpitaux sans l'appréhension d'être prises en charge par des médecins généralement hommes, et il n'y avait pas ces violences. Pourquoi cette régression ?"